CROWDS de Juan Genoves al Centre d'Art Contemporani de Perpinyà #art #CatNord

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CROWDS | Juan Genoves

12 Octobre 2013 - 19 Desembre 2013
Centre d'Art Contemporani de Perpinyà


« J'ai toujours pensé qu'il n'y avait pas de raison pour que la peinture soit exclusivité d'une élite, mais, au contraire, qu'elle devait servir à entrer en contact avec les gens. C'est ce que j'aimais dans le Pop Art, mais en même temps je voulais faire un art critique et socialement engagé»

Juan Genovés.

Le premier contact de Juan Genovés et de ses contemporains avec le Pop Art, une exposition à l'ambassade Américaine de Madrid au milieu des années 60, a dû être un défi considérable, avec ses tons édulcorés et cet air arrogant. Comment ce nouvel art, tellement fascinant et séducteur pouvait-il cadrer personnellement et politiquement avec  le contexte d'une génération dont le tempérament social et artistique s'était forgé sous la répression et les privations du régime franquiste ? Si par hasard cela avait été possible, quel élément du Pop aurait pu utiliser un jeune artiste espagnol aux idées avancées, pour représenter une expérience tellement différente d'un point de vue plus engagé ?

Quelques artistes, au vu de la brillante enveloppe du Pop se sont peut-être sentis attirés par les possibilités qu'offrait l'utilisation de cette nouvelle esthétique comme instrument pour dénoncer la réalité de l'Espagne franquiste – et de fait, ils l'ont fait. Mais Genovés, assurément un des artistes le plus raisonnable de sa génération, bien qu'attiré par l'énorme popularité du mouvement Pop, a opté pour une optique plus élémentaire – envisageant un avenir à plus long terme. Déjà immergé dans une série naissante de tableaux consacrés à la « foule » il a commencé à développer une thématique et une méthode avec lesquelles il irait au-delà de la rapide éclosion du phénomène Pop.

Quand on regarde les œuvres les plus précoces de cette exposition, nombreuses datent du milieu des 60, ce qui attire l'attention en tout premier lieu, est la façon dont les scènes  de multitude de Genovés, sans perdre leur actualité, semblent transcender leur propre cadre espace –temps. « Objetivo » (1968) réalisé dans un ton gris-verdâtre avec une couche superposée d'un viridian plus sombre créant un cercle central en forme de mire télescopique d'où l'on observe un défilé de figures qui semblent fuir un adversaire inconnu,  indubitablement Genovés nous parle de l'agitation de cette époque-là, mais sans se centrer sur une histoire concrète. De même, son « Estudio de la calle » (Étude de la rue) (1969), avec ses divisions horizontales comme s'il s'agissait d'un film photographique illustrant un récit de contestation et de répression violente capte un tel vécu qu'aujourd'hui encore il invite à la réflexion.

Les œuvres sont trompeusement simples et sciemment sorties du contexte et chargées d'ambiguïté quant au mouvement et à la motivation. En les regardant nous pensons inévitablement à des barrières, des images de frontières politiques ou idéologiques que l'artiste délibérément préfère ne pas révéler, nous viennent à l'esprit. Pour cela, sur un ton moins déclamatoire, mais non moins provocateur que celui des icônes irrévérencieux de le Pop Art, un demi-siècle après, les échos de la peinture de Genovés de la moitié des années 60, résonnent toujours avec la même force. Entre ses mains la masse humaine devient un produit anonyme et récurrent de l'histoire- foncièrement récurrent, en fait-. Le pouvoir, la persécution, la résistance ou le déplacement sont quelques-uns des thèmes éternels d'une œuvre qui continue d'émouvoir le spectateur, indépendamment du lieu où il se déplace : que ce soit le Madrid des 60, le Berlin ou le Pékin des 80, le Caire ou n'importe lequel des cadres du  Printemps Arabe de 2010. L'histoire ne s'empare pas seulement de l'œuvre de Genovés, mais en plus elle la recrée.

Ce fut l'artiste britannique Richard Hamilton qui, en 1957, a élaboré la liste définitive des caractéristiques du Pop Art : « populaire ; éphémère ; fongible ; bon marché ; produit en série ; jeune ; ingénieux ; sexy ; qui fait de l'effet ; glamoureux et une très bonne affaire ». Telles sont les qualités qui prédominent dans les exemples les plus représentatifs de l'art Pop.

Et cependant, malgré l'optimisme écrasant qu'en apparence dégageait le mouvement, beaucoup d'artistes de l'époque, y compris Hamilton, lancèrent leur particulier appel à la prudence. Justement, l'œuvre de Hamilton Swingeing London 67 (1968-69) basée sur la photographie du Daily Mail qui montrait, menottés à l'arrière d'un fourgon policier, le galeriste Robert Fraser et Mick Jagger, détenus pour une affaire de drogues, aborde le thème du  sensationnalisme médiatique avec une ironie qui laisse à découvert les contradictions de ce que l'on connaît comme « Ère de la permissivité ». D'autres artistes comme Vija Celmis, dont l'œuvre Time Magazine Cover (1965) reproduit l'image tirée d'un journal qui montre les troubles raciaux du quartier de Watts (Los Àngeles), ou Gerhard Ritcher, avec ses scènes modernes consacrées au paysage urbain et à la transformation de la ville qui reflètent l'aliénation d'après la Seconde Guerre Mondiale, ont suivi une stratégie semblable ; réélaborer les images fournies par les moyens de communication de masse pour illustrer depuis une perspective critique les aspects de l'histoire contemporaine.

La principale contribution de Genovés à l'art Pop a été de mettre en forme le concept de « masse humaine ». L'art Pop, en concret l'américain, tend à recréer le concept de masse à travers d'objets de consommation et icônes culturels depuis la perspective du consumérisme et l'ironie. La série de boîtes de conserve de soupe ou les boîtes de Brillo d'Andy Warhol sont le reflet de cette compulsion consumériste récurrente qui  devient effroyable quand on la déplace à des scènes de traumatisme ou de violence – comme il arrive dans White Burning Car ou dansRace Riot (les deux de 1965). Cependant, ces qualités warholiennes de distance, détachement et indifférence ont dû représenter un luxe inabordable pour tout jeune artiste de l'Espagne de l'époque.

À ce moment-là, Genovés avait déjà commencé à expérimenter timidement avec ses tableaux de foules. Encouragé, dans un premier temps – et là réside l'ironie -, par une commande d'une des Directions Générales du Régime franquiste, Genovés s'est arrangé, en accord avec les demandes de la partie contractante, pour trouver la manière de remplir les images avec de plus en plus de figures – en se servant de coupures, pochoirs et sceaux- pour recréer cette atmosphère de productivité pleine de vie qu'on lui demandait. Sa grande réussite a été d'adapter l'esthétique pour la faire coïncider avec ses propres convictions politiques.  Dans ces scènes où la nature de la foule est  intentionnellement ambigüe, on respire, par-dessus tout un climat de fatalité. Formellement, Genovés a toujours cherché à garder un haut degré de détachement motivé par la certitude qu'il n'existe pas d'espace en blanc, ni de multitude immobile, ni de pouvoir dominateur bienveillant. Telle est la grande contradiction que renferme son art, partagée de bon gré avec le spectateur astucieux.

Inévitablement, en contemplant ces peintures où la foule serpentante semble un tas de jouets pour dieux ou géants, viennent à notre mémoire des scènes de masses humaines immortalisées par Sergei Eisenstein ou  Cecil B. De Mille. Son influence cinématographique reconnue relie Genovés à d'autres collègues du mouvement. Il est pourtant sûr que l'idée, inhérente au Pop, de l'artiste détaché, comme une espèce de comédien duchampien, perd de sa valeur pour des œuvres qui après six décades sont encore interprétées comme une ode prolongée à l'homme normal. Vers où se dirige cette sorte d'hommes-fourmis ? Tout ce va-et-vient sans raison apparente, sans fin… Il se peut que nous nous sentions épuisés par ce mouvement perpétuel, par l'inexorable irrésolution exprimée dans l'œuvre de Genovés, mais c'est en fin de compte le trait qui le définit. Nous revoyons l'œuvre pour sa beauté, évidemment, mais nous le faisons également attirés par son pouls, par le palpitement de son cœur, désireux de découvrir le sens des battements incessants et à la fois inquiets de crainte qu'ils ne s'éteignent.

Martin Coomer


Centre d'Art Contemporani de Perpinyà
3, avenue de Grande Bretagne
66000 Perpinyà, Catalunya Nord
04 68 34 14 35
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